Je suis Nours, lourson mignon. Râpé et fatigué aujourdhui, je fus jadis un ours au pelage soyeux. Robert était lenfant auquel jappartenais. Il était sadique, Robert. Il me faisait subir toutes sortes de jeux que je redoutais. Je me souviens du supplice du cachot : je restais enfermer dans le placard humide sous lévier de la cuisine familiale. Ou encore le supplice du train : cest attaché par la tête que Robert me traînait jusquà la voie ferrée. Là, il me posait entre les deux rails et attendait non loin que le train arrive et me passe dessus. Lorsquil ricanait, cest que le train nallait pas tarder. Lorsque je pensais que ma fin avait sonné, il sapprochait : « Tu as eu peur, trouillard ! ». Le supplice de la noyade, lui, consistait à me jeter dans leau glacée de la rivière. Puis il me repêchait, me saucissonnait et me pendait dans lâtre de la cheminée. Dabord le feu me réchauffait, ensuite la chaleur devenait trop cuisante. Mais lil vigilant de la mère me sauvait à chaque fois du supplice dimmolation. Puis Robert moubliait, le temps dinventer un nouveau jeu. Louverture du coffre à jouets dans lequel je reposais annonçait toujours un mauvais présage. Robert grandit. La mère me rangea dans une caisse en bois. Et puis plus rien. Juste les traces de tous ces jeux passés. Le jour où ma cachette souvrit, la mère se tenait entre deux hommes en uniforme. Elle leur disait que ça ne létonnait pas, que déjà petit il ne respectait rien. La gorge serrée, elle raconta certains des jeux de Robert. Le pire quelle fit resurgir à ma mémoire, fut celui de lopération. Muni dune paire de ciseaux, Robert avait ouvert sur toute sa hauteur mon ventre dont je ne souffrais pourtant pas. La mère mavait recousu. Cest cette grande cicatrice que je conserve. Après le départ des deux hommes, la mère pleurait. Elle jeta la caisse au feu avec les débris de jouets quelle contenait. Jétais toujours sur la table de la cuisine, minterrogeant sur mon sort. La mère me serra dans ses bras lunique étreinte de ma longue vie. Ensuite, elle me plaça dans une grande armoire contenant du linge et des albums photos. Je reste là, paisible, dans cet univers clos à lodeur de naphtaline. Je nai jamais revu Robert. Je ne sais pas ce quil est devenu. | |||