14/11/2004 Genèse…

Quand je disjoncte, quand je m’enlise, quand je dérive,

je prends mon crochet et je crochète.

Je crochète une écharpe, je crochète le temps,

je crochète ma vie.

Je crochète, je construis maille après maille ma vie.

Une maille à l’endroit, une maille à l’envers.

Sauter une maille, faire un jeté. Ouvrage ajouré, mailles serrées.

Armée de mon crochet, je donne corps aux secondes

qui s’échappent.

Je les matérialise toutes. Je remplis l’espace de mon ouvrage.

Je m’ouvre à moi-même.

Solitude. Je m’apaise, je médite.

Toutes ces mailles m’accrochent. Me raccrochent.

Avec cette écharpe je réchaufferai un homme.

Sous cette couverture, je me loverai contre un homme.

Je n’attends plus. Seuls mes ouvrages attendent.

Moi, je n’attends plus, je crochète, je m’accroche, j’avance,

je tisse ma vie.

Je bâtis mon bonheur. Celui qui vient de moi.

Il se cache parfois au fond de moi, je sais qu’il est là.

Il jaillit parfois et revient se tapir tout au fond de mon être.

Il fait partie de ma vie. Il grandit et bientôt mon bonheur

me prendra par la main et j’abandonnerai mon ouvrage.

Il restera là, au sol, telle une ancienne peau,

une peau de transition,

la peau de ma quête intérieure, ma peau tannée

par cette traversée du désert. Une mue.

Au sol. Passé. Derrière moi.

Devant moi, la vie.

La seule dont je puisse jouir.

Ma vie, celle que je veux réussir.

Ma vie à moi.

Mon bonheur de vie.

Me confronter à ma vie me fait grandir.

Je veux m’épanouir. Décider de respirer, de savourer

à pleins poumons mon bonheur, ma joie.

Accepter ma vie. Les mauvaises surprises,

les mauvaises rencontres, les mauvais jours, les jours de pluie,

mon hiver, mon désert, mon voyage.

Après la pluie, le beau temps. Après le beau temps, la pluie.

La vie est mouvement. Accepter.

Vivre toutes les mailles.

Les mailles à l’endroit, les mailles à l’envers.

Les mailles en l’air, les jetés de mailles, les mailles coulées,

les mailles perdues, les mailles sans goût, les mailles amères,

les mailles lâches, les mailles en dérive, les mailles en déroute,

les mailles sordides, les mailles en attente. Je tisse ma vie.

Tissage d’une multitude de fils chamarrés.

De bons fils.

Des fils solides.

Des fils fragiles.

Des fils joyeux.

Des fils merdiques.

Des fils interrompus.

Je noue. Je fais des nœuds, des nœuds solides,

des nœuds de marin, des nœuds coulissants.

Je noue, je tisse, je reprends, je reprise, je renforce,

je trame, je trime, je traîne, je change de fil, j’aiguille,

je troue, je surfile, je file, je brode, je me pique,

je saigne, je cicatrise, je continue, je ne perds pas le fil,

je perds mon aiguille dans une botte de foin,

je trouve l’aiguille dans une botte de foin,

je suis le fil d’Ariane, j’entame l’ouvrage de Pénélope.

J’admire ces grandes dames.

La solidarité féminine me réanime.

Je m’anime.

Je perds le fil, j’ai du fil à retordre.

Au point de croix, je tisse une bonne toile d’araignée

autour de mon bonheur intérieur,

qui lui ne s’échappera jamais.